Les Européens sortent l’arme fatale… en douce
Vendredi soir, 23h47, entre la pizza froide et les chaînes info en pilote automatique, une nouvelle discrète est tombée du ciel diplomatique : le “snapback” a été enclenché contre l’Iran par les Européens. Ça ne vous dit rien ? C’est normal. Ce nom de Transformer a tout d’un coup d’État juridique. Mais surtout, il pourrait replonger le Moyen-Orient dans une instabilité nucléaire préoccupante. Alors pourquoi Berlin, Londres et Paris activent-ils en cachette un mécanisme vieux de 10 ans ? Que cachent-ils exactement – et à qui ?
Retour vers le passé… nucléaire
À l’origine, il y a l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, aussi connu sous l’acronyme JCPOA. Ce texte, signé dans l’euphorie post-Obama par l’Iran et six puissances mondiales, prévoyait en échange de la levée des sanctions une surveillance renforcée du programme nucléaire iranien. Mais depuis le retrait amer des États-Unis sous Trump en 2018, ce fragile équilibre est devenu un champ de ruines diplomatiques. Et depuis, Téhéran enrichit de l’uranium à tout-va, sans trop s’en cacher.
Selon l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA), l’Iran possède aujourd’hui 23 fois plus d’uranium enrichi que ce que l’accord initial permettait (source : aiea.org). Et comme le rappelle un diplomate européen cité par Le Huffington Post, « le dossier est sur le point de déraper complètement ». Mais tout cela restait feutré. Jusqu’à maintenant.
Le “snapback” : activation du bouton rouge
Mercredi 3 juin, les trois pays européens signataires de l’accord – France, Royaume-Uni et Allemagne – ont notifié au Conseil de sécurité de l’ONU une réactivation du dispositif de sanctions initiales contre l’Iran. Ce mécanisme appelé “snapback” – soit “retour automatique” – impose un retour immédiat des sanctions internationales sans vote préalable. L’Iran l’avait redouté depuis 2020, mais les Européens avaient jusqu’alors résisté à l’utiliser. La digue vient de céder.
Pourquoi maintenant ? « Parce que l’Iran ne coopère plus avec l’AIEA et accélère la militarisation de ses centrifugeuses », explique Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). L’AIEA ne peut plus accéder pleinement aux installations. La transparence s’est évaporée. Et les prochaines étapes pourraient être explosives – au sens presque littéral.
- Gel des avoirs bancaires de responsables iraniens
- Rétablissement des embargos sur les armes
- Interdiction d’export de pétrole iranien
- Restrictions sur les vols commerciaux iraniens
Ce retour des sanctions rend tout retour à la diplomatie classique quasi impossible. La France, par la voix du Quai d’Orsay, a tenté de noyer le poisson en évoquant un « rappel à l’ordre », mais le mot est lâché : le dialogue est enterré, au moins temporairement.

Jeux d’ombres et élections à venir
Mais ce coup de théâtre tombe-t-il par hasard ? Pas vraiment. En Iran, les élections législatives prévues début 2025 pourraient voir triompher un camp radical désormais galvanisé par l’hostilité occidentale. Côté européen, certains analystes pointent aussi une volonté de paraître plus fermes à l’approche des européennes. « Il y a une instrumentalisation stratégique du dossier iranien », estime Dorothée Schmid de l’IFRI dans une interview à France Culture. « Cela permet à des gouvernements impopulaires de se montrer fermes sur la scène internationale alors qu’ils vacillent chez eux. »
Même les experts de l’ONU le reconnaissent : ce retour brutal aux sanctions crée un risque d’escalade préoccupant. Pire, il donne à la Russie et à la Chine, également signataires du JCPOA, l’occasion d’apparaître plus modérées et conciliatrices que l’Occident. De quoi renverser le narratif mondial sur la « menace iranienne ». Et brouiller encore davantage la lecture globale du nucléaire.
Quand l’Europe envoie un message à… elle-même ?
Ce que souligne cette initiative musclée, c’est aussi l’ambivalence européenne : incapable de réanimer l’accord nucléaire, elle choisit désormais de l’achever officiellement. Avec le snapback, l’Europe sort de l’ambiguïté, mais au prix d’un aveu d’impuissance stratégique. Un diplomate anonyme à Bruxelles nous confie : « on rejoue le match en espérant un carton rouge devant des tribunes désormais vides ».
Pas sûr que le signal envoyé parvienne jusqu’à Téhéran… mais il est clair qu’il s’adresse aussi à l’opinion intérieure : celle d’États qui ne peuvent plus accepter d’être vus comme mous. En activant un bouton nucléaire diplomatique en pleine nuit, l’Europe prend le risque d’un retour de flammes incontrôlé. Et pendant ce temps, Israël accentue ses frappes préventives sur les infrastructures iraniennes en Syrie…
Snapback, sanctions, et suites : le feuilleton ne fait que commencer
Ce « bouton rouge » dégainé sans tambour ni trompette relance une série d’effets domino géopolitiques. En menaçant de redevenir un paria international, l’Iran pourrait aussi relancer clandestinement un véritable programme militaire, comme à la grande époque d’Ahmadinejad. Et visiblement, ce scénario n’est plus une hypothèse farfelue.
À l’heure où les tensions USA-Chine monopolisent les projecteurs, le retour des sanctions contre l’Iran illustre une instabilité dont l’Europe pourrait être victime collatérale autant qu’actrice maladroite.
Et vous, trouvez-vous que cette décision européenne arrive trop tard ? Ou bien fallait-il depuis longtemps cesser d’espérer un compromis ?
FAQ
Qu’est-ce que le mécanisme de snapback ?
Il s’agit d’un mécanisme juridique inscrit dans la résolution 2231 de l’ONU permettant de réimposer automatiquement les sanctions internationales si l’Iran ne respecte pas ses engagements nucléaires.
Pourquoi l’Iran représente-t-il un risque nucléaire ?
L’Iran enrichit de l’uranium à des niveaux proches de l’usage militaire. En l’absence de contrôles complets, cela inquiète les agences de sécurité.
Quel est l’impact pour les citoyens européens ?
Directement, il est mineur. Mais l’instabilité au Proche-Orient peut avoir des conséquences indirectes : hausses des prix de l’énergie, tensions migratoires, risques terroristes accrus.